L'art de la fugue - 2
J'ai passé le
week-end assez agréablement, à suicider mes journées.
Ca a commencé
vendredi nuit par CNN et la convention républicaine à Tampa.
Entre un Rubio (
Narcisse rayonnant) et un Romney (pas si antipathique que ça, le
pauvre) - entre les drapeaux, les ballons étoilés, les foules en passion
et en chapeaux fous - j'ai vu intervenir Clint Eastwood.
Décrié
partout. Et irrésistiblement
élégant, cool, redoutable, drôle.
Je riais de
plaisir. L'intelligence m'enchante. Le courage me ranime. Et
le charme tombe sur moi comme un état de grâce.
Ça a été le bref
joyau de mon week end.
Samedi matin : en
catalepsie toute la matinée devant les news.
Après quoi,
j'ai consacré l'après-midi à l'iPhone, effleurant d’un index aérien CNN,
la BBC, le New York Time, le Washington Post, le Herald Tribune – entre autres
- pour découvrir les réactions aux U.S. (post-convention républicaine et
pré-convention démocrate).
Il a aussi
absolument fallu lire les analyses sur la course à la splendeur, au luxe
planétaire, aux zooms célestes de
continent en continent sur Air Force One - entre le plouc plouc Mitt Romney et
le danseur étoile Obama.
Avec,
naturellement, des entractes sur Facebook, histoire de poster çà et là
des commentaires oiseux - pendant que les légions de montres et de
réveils qui peuplent mon appartement scandaient l'extinction de la journée
(j'ai un conflit de longue date avec le temps).
Hier matin,
dimanche : à nouveau en évaporation mentale sur le divan, télécommande
flâneuse, zappant de ci, zappant de là, avec une détermination vague de zombie
.
Normal . Ce
week-end, j'avais des choses vraiment essentielles, audacieuses à faire.
(Qu'il faudra bien faire un jour). Donc, le mot d’ordre était : courage, fuyons.
En tout cas,
c'est comme ça, en traînant comme un cancre hors de ma vie, que j'ai
appris sur la BBC qu'une Bible et un caleçon - non lavé - ayant appartenu
à Elvis Presley allaient être mis aux enchères.
Le
commentateur a observé avec une sobriété britannique qu'on pouvait
peut-être trouver légèrement "déconcertant" l'état du caleçon.
Non ?
Click,
bâillement, zapping.
Soudain, le
piège.
Comme un oiseau
cloué sur place par le regard froidement dragueur d'un serpent - je suis
restée fixe sur le divan, télécommande en l'air. Hypnotisée par le
discours ininterrompu, velouté, ondulatoire d'un ministre de Lui Président.
Un homme
courtois, très calme. Mais Il fusait de lui des arias de langage,
d’amples envolées grammaticales, des bourdonnements, des vibrations et des
circonvolutions verbales qui laissaient les trois journalistes en face de lui
muselés. En état de sidération.
Des vétérans,
pourtant. Mais tous en manque d'air, l'oeil vitreux, chancelants,
suffoqués par ce tsunami de vocabulaire, de subordonnées relatives et
d'implacable bienveillance.
...L'interviewé -
ignorant impérialement tout reflet de question qui tremblait au bord d’une
lèvre - chantait, inlassable, le rôle christique du gouvernement,
décrivait par le menu les objectifs et les stratégies de ce groupe
d'archanges soucieux, descendu en France pour sauver le monde, au
milieu des ruines laissées par Attila Sarkozy.
Il expliquait et
ré-expliquait à perte de vue le difficile parcours de ces quelques héros
qui poursuivaient stoïquement leur mission de rédemption,
affrontant sans faiblir les mesquineries des médias, les
évaluations bornées des sondages, la déplorable impatience ambiante et les
réflexions ignobles de la droite.
Il a même
expliqué, au cas où il y aurait des arriérés mentaux dans la salle, qu'il
serait bon de comprendre et d'intégrer la notion de "temporalité du
redressement".
Puis il a
pondu une phrase qui m'a drapée d'étoiles, qui m'a laissé en vertige, en
spirale de saisissement sur le divan : "Il est consubstantiel que la
politique soit un exercice narcissisant pour ceux qui s'y livrent".
Peut-être que je
me suis trompée et que je n'ai pas cité juste. Peut-être qu'il s'agissait d'une
négation au lieu d'une affirmation.
Mais quelle importance ?
Il était
tellement parfaitement impossible de détecter, sous les avalanches de
rhétorique, le début d'un embryon d'information. Excepté, bien sûr, le
message subliminal (ou sublimement banal) usuel :
"P..., vous
ne voyez pas qu’on est des anges ? On n'arrête pas de vous montrer
nos auréoles, on vous bat même des ailes pour vous faire plaisir… Foutez-nous la paix, à la fin!"
Un contenu que
Lamartine formule bien mieux que moi :
"Laissez-nous
savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours..."
Michèle-Claire
Océano Nox Ibensaal a actualisé son statu quo (pour l'instant).
NEWS OF THE WORLD
Aux U.S. une femme tue son mari à coups de tasse
de café.
Ailleurs, un homme
confond son fils avec un singe et le tue.
Au Togo, les femmes
sont en grève du sexe pendant une semaine.
Étude : quel est
l'animal le plus dangereux pour l'homme? Le requin? Le crocodile ? Pas du tout
: le moustique.
Dans le même ordre
d'idées : Martine Aubry réclame deux quinquennats de François Hollande.
L’ART DE LA FUGUE - 1
Aujourd’hui, fuite organisée.
Un, la télé.
En torpeur devant les « nouvelles mesures » du gouvernement. Soudain, j’ai
entendu Jean-Marc Ayrault émettre avec un air grave quelque chose comme : « la
France a été affaiblie…».
Ah, la
crampe. Il est encore là, à gratter la terre, à mâchonner les os de Sarkozy.
C’est
lui-qui, c’est lui-qui, c’est lui-qui.
Mais quelle exténuante
incontinence. J’ai zappé.
Pour mariner ailleurs, dans d’autres
liturgies d’infos. Et le prix du carburant, et la Syrie, et les gaffes des
républicains aux U.S., et le défilé souriant des ministres entrant à l’Elysée
avec une sérénité bouddhiste. Et la Syrie, et le livret A, et les sourires de
ministres, et la Syrie, et les Roms – et
Et là, ressuscitée de surprise. Des
« Roms » expulsés, en vrac anxieux sous les arbres. Un prêtre leur apporte des
provisions qu’il a achetées pour eux. Il dit : « 40 Euros – je ne sais pas
combien de temps je pourrai tenir… ».
J’ai failli tomber du divan. Je
crois bien que j’avais les larmes aux yeux.
Je résiste à tout ce que je subis.
Et à tout ce que je me fais subir.
Mais la bonté me renverse.