je ne sais pas pourquoi j'évolue sur Facebook comme une sombre, sardonique pythie enchevêtrée de politique et d'amertume
j'essaie de m'éloigner, mais je trébuche régulièrement, je crépite toute seule d'exaspération, je finis par virer le lendemain, avec un haut le cœur, ce que j'ai posté la veille
en fait, je crois toujours que je vais faire un pas tangué, original, qui sera remarqué - et je m'affale
pourtant, you would not believe it, je suis capable de m'ébouriffer comme un oiseau dans le vent et je suis très très drôle
sauf que - les chats qui courent dans des tuyaux et les bébés qui dansent le flamenco sur YouTube me plongent dans un coma immédiat - je suis un black sheep
impossible de rire sur un claquement d'image, j'ai l'humour imprudent, imprévisible, vite déchaîné, à contretemps
je ne sais pas pourquoi je cours encore m'agiter dans le vacarme de Facebook, mouton noir piteusement déguisé en blanc bouclé - ivre d'une ironie, d'une lucidité, d'un mépris dévastateurs de mes gestes et de mes mots
je finis par m'extraire, après un assassinat en règle d'une journée, avec une nausée qui me monte jusqu'aux tempes
je perds un temps fou, parce que chaque fois que je veux dire quelque chose, j'ai des galaxies dans la gorge - 300 millions de mots, de visions, de directions, d'idées incendiaires, d'exécutions de phrases à feu nourri et d'éclosions ininterrompues - comme là, maintenant, où je suis obligée de m'arc-bouter, de me brider au sang comme un cheval fou pour ne pas décoller dans l'espace au milieu des planètes
bref
je ne sais pas pourquoi j'essaie imbécilement de me mêler à ce chahut planétaire de news, de posts, de liens, de likes et de commentaires - pourquoi je me divise en 4 morceaux parfaitement inassimilables pour avoir l'air-de, pour ressembler (hello everyone, je suis là, je suis bizarre, vivante, je suis intéressante, acceptez-moi...)
je tente de m'assembler pour ressembler, et je dissemble sur-le-champ
je dis que je ne sais pas pourquoi je fais ça, mais c'est parce que je suis polie
je ne sais pas pourquoi, mais je sais
c'est la famine
cette faim d'être vu, reconnu, entendu, applaudi, aimé qui ronge les 7 milliards de plus ou moins humains sur la Terre
au fond, black sheep ou non, je suis exactement comme ces gens que je croise partout, soudés à leur portable, le nez verrouillé, les yeux fixes et les doigts en fièvre - en état de famine
ils attendent ce qui ne viendra jamais, ce qui se conquiert uniquement quand on n'attend pas, même pas une minute
quand on écoute un destin et rien ni personne d'autre
quand on se rend au mystère et non à l'évidence
quand on a l'extraordinaire bravoure de se risquer à vivre
je peux aller me pendre au vestiaire - je sais, mais je ne sais pas faire