je connais quelqu'un, qui, le matin, se rase avec un cactus
en maltraitant son reflet
il a beau faire des imitations de normalité, la horde le flaire et le recrache
il baisse le nez, marche arrondi - mais son regard s'échappe, des temples flambent dans son crâne, il a le désespoir indéchiffrable, comme si son âme s'écrivait en sumérien - il cache un sourire fou, intérieur - il a l'humour en vol comme une mouette, constamment évadé de la cage où il tente de l'enfermer
et qu'il porte comme une clochette de lépreux
moi, je vis sonnée, frissonnante, terrée comme un SDF dans un porche, au bord des foules, j'ai tout le temps le nez dans les autres mondes, ma mémoire est piégée dans la lumière de la mer, je viens de trop loin, j'ai le temps au cœur, les nerfs épluchés et l'humour hérétique
mon esprit est un incendie qui ne peut même pas me réchauffer les mains
on est des étrangers
muets d'émerveillement devant les gens doués qui saisissent leur vie et la risquent, la jouent, la chevauchent, rieurs, ébouriffés - chevaliers inouïs qui portent leurs rêves au poignet comme des faucons et les lâchent en plein ciel
les autres
tous les autres nous enjambent, voûtés comme des pré-bipèdes, le nez glué dans un iPhone ou un Samsung comme dans une banane - tout boueux et l'œil arriéré de patauger dans les marais sociaux, une bave permanente de Twitter à la bouche
ils sont légitimes
boum boum, moi clever, toi débris, j'écrase ton espace comme une cacahuète, et dans le fond de moi, quand je cuis dans un bus entre des omoplates, je sanglote pour exister - alors je glousse très haut avec mes semblables et je me fais tatouer
on est régulièrement raflés avec les milliards qui trépignent au fond des zoos et des miroirs
tous, nous tous enfournés en vrac dans l'abattoir quotidien des routines par des espèces de clowns carnivores aux egos ventrus qui, le matin nous pissent des discours sur le crâne, le jour nous bouffent et le soir nous excrètent
et la planète des autres repart au galop
nous
on se retrouve dehors, out, bannis, enfuis, ailleurs
on a froid
mais on conquiert parfois des fous rires de rois