dimanche 19 août 2012

MOODS - 1






Bon.  Personne ne me lit.  Ca ne me surprend pas.  Et même ça aurait plutôt tendance à m’amuser – j’ai un esprit vraiment affreusement clair.

Alors, j’ai décidé que j’allais informer les vacanciers de Facebook qui bronzent sur le net avec une photo sur leur nombril – de mes états d’esprit.

Chaque fois que j’aurai le temps, bien sûr.

Ça fait partie du jeu, non ?

(Ou du « Je »… ?)

Bref. Et ruit oceano nox Ibensaal va se lancer dans les actualisations de statut.

Hier, j’ai marché.  J’ai vu un pigeon accablé  par la chaleur. J’ai aussi rencontré quelques humains avec des skateboards, qui cherchaient un ventre sur lequel rouler.

Ce matin, Dani m’a parlé d’un homme réellement plein de ressources, qui tenait un dépôt vente d’armures au moyen âge.  Il m’a aussi expliqué l’origine des plaids écossais et leur rapport étroit avec les retours de croisade.

C’était passionnant.  J’ai pleuré de suspense.









 
Ah, encore quelques réflexions, au hasard :

La France, au mois d’août, agite des pantoufles désapprobatrices dans le concert des nations.  (Ou des tongs ?)

Il y a une astronaute, à l’Élysée.  Quelqu’un qui, dès qu’elle ouvre la bouche, vous embarque instantanément dans le vide sidéral.  Le voyage est ronronnant, mais dangereux – il y a un risque de somnolence.  En plus on atterrit crashé, à plat, les tempes étoilées de migraine, un désespoir dans l’esprit.  (Elle a dit quelque chose ?  Il y avait un sens ???)




Faute de mieux, je traîne souvent dans les séries policières.  Mais je ne sais jamais qui a tué.  J’ai 2 problèmes :

1 – Les héros sont tellement vertueux que leur splendeur morale m’anesthésie.  C’est fatal.  Je m’endors juste quand l’enquête sort des fausses pistes pour traquer le vrai coupable.

2 – Les médecins légistes femmes me désorientent.  Elles cliquent claquent vers les cadavres sur des talons de trente centimètres.  Elles agitent des poumons comme des serpillières, et plantent sur vous un regard scientifiquement froid sous le rimmel en vous débitant un couplet pétéchique ou subdural.

Dans certaines séries, je me demande comment les enquêteurs résistent au vertige quand elles se penchent, bâtonnet d’exploration en main pour forer une mâchoire : d’un côté, le mort, tête cireuse, poitrine en Y grec et rigor mortis, de l’autre un vertige de décolleté – un Acapulco mammaire.

Après quoi, elles relèvent la tête, graves, un verdict fulgurant d’intelligence médicale sur leur bouche rouge pivoine qui semble prête à s’ouvrir dans un tout autre but.

L’inspecteur de service tient le coup, mais pas moi.  Pivoines, Acapulco et pétéchies m’endorment.

Je me réveille, sans solution, généralement dans une machine à laver, parce que c’est le moment de la pub.  Enquêteurs, cadavres, légistes et assassin ont disparu.  Une femme rayonnante me brandit au nez la lessive miracle qui vient de guérir le malaise profond de sa vie.

L’énigme reste entière.

Et Ruit Etc s’est actualisée for today.



jeudi 16 août 2012

ET RUIT OCEANO NOX




ET LA NUIT SURGIT DE L’OCÉAN


J’ai un ami à Chypre qui s’appelle Achille.  Il a des amis qui ont des noms vertigineux : « Osoi efugan ston ourano einai kapou ekei kai mas prosexun » – « Ceux qui sont partis dans le ciel sont quelque part là-bas où ils veillent sur nous ».

Ou : « Edoooooooo se thelo cardia mou » – « C’est iciiiiiiii que je te veux mon cœur ».

Ces noms ailés, exclamés, ardents sont passés sous mon nez comme des souffles de liberté.  Je veux, moi aussi, ajouter à mon nom un nom en orage – en rafale.

Je m’appellerai « Et ruit oceano nox ».

Entre Achille et Virgile, impossible de s’éloigner de Troie.

Ceci dit, autant être sur place.  Un article de la revue scientifique anglaise Nature, repris par Libération, prévoit à brève échéance un changement d’ère extrêmement sombre, qui déchaînera une violence de vie sur la terre.

Troie, capitale des ruines, va régner à nouveau.

Et ruit oceano nox a actualisé son statut.





INSTANT SHAKESPEARIEN


Devant l’incompréhension du monde, Dani se demande ce qui l’empêche de ne pas prendre un coca cola.





ÉTOURDISSEMENT


Je n’ai pas eu de temps le week end dernier.  Ou plutôt, le temps m’a eue – je suis tombée dedans.

Il faut dire aussi que j’ai fait ce voyage dangereux sur le divan.  Un click de décollage - et des heures dans l’espace. 

Le somptueux noir sidéral est miné. A voir, c’est un vertige.  Il traîne des ciels de lumière, des pourpres flottantes, des geysers d’étoiles.  Des planètes tigrées comme des fauves surgissent des ténèbres entre des marées boréales de nuages.

En fait ce n’est que, paraît-il, 5 %  de lui.  Le reste n’est que nuit sans retour, un brasier d’énergie à se rompre l’esprit - des chemins de gouffres où l’espace se noie.

Les irréversibles trous noirs, béants comme des mâchoires, digèrent le temps. Comme si l’univers, scorpion originel, vivait de sa mort, filant au-delà de toute compréhension humaine.

Il n’y a pas une étoile, pas un lac de lumière le long d’une galaxie, pas une bulle glacée en valse autour d’un soleil qui ne se compte pas en centaines de milliards - dans le voisinage concevable de la Voie Lactée.

Au-delà, on ne sait pas.  Il n’y a que la course sans limite de l’univers dans le noir.

Le Big Bang, il y a 13.700 milliards d’années. Au commencement était, disent les cosmologues, l’infiniment petit.

Un point qui a flambé dans le vide.  Et qui s’est répandu à l’infini autour de lui-même. 

Et qui peut-être, dans je ne sais pas combien de milliards de temps humain, de  déflagrations silencieuses de lumière, de soleils en cendres et de planètes évaporées – nous compris – se contractera à nouveau, jusqu’à n’être plus qu’une pulsation dans le noir.

Et après ?

Mais surtout – et avant ?

Il y avait quoi, avant la première seconde ?  Avant le silence incendiaire ?  Avant la nuit de l’espace ?

Avant le néant ?

Et avant lui ?

De quelle source a coulé la source du vide ?

C’est à perdre connaissance.







RÉFLEXIONS CLANDESTINES


Je me demande si la foi n’est pas un consentement à l’incompréhensible - et si, à un point d’intersection aussi insaisissable que celui des parallèles, la science ne la rejoint pas dans sa trajectoire vers l’inconnu.

Les uns errent dans les étoiles.  Les autres s’absorbent dans un dialogue intense avec le ciel. Pendant que les uns, penchés sur une fraction de météore, tiennent des années lumière dans la paume de leur main, les autres recueillent des âmes – ils ont l’éternité en vue.

Les uns cherchent passionnément, les autres ont passionnément trouvé.  Leurs visages sont habités.  Leurs yeux regardent ailleurs.  Ils ont dédié leur vie à ce qui les dépasse.

D’autres dépassent leur vie dans ce monde.  Ils écoutent le silence des déserts.  Ils dansent avec les murènes sous les océans. Ils enlacent des fauves ou des aigles pour ne pas que l’homme les efface.

Tous vivent au-delà d’eux-mêmes. Dans le cœur battant du temps.

Ils ne se sont pas accrochés à leur peau comme les ânes hystériques et  crevés que nous sommes, englués de routine, pliant sous nos egos et nos agendas.

Ils sont libres.







DANI DES MILLE ET UNE NUIT


C’est mon cousin jumeau.  Je l’appelle.  Je lui raconte, hantée, intense - une antenne, comme d’habitude, en frissons dans l’inconnu. 

Il me répond en invoquant son expérience personnelle - dans un récit interminable, onctueux, hypnotique d’absurdité, intolérablement drôle. 

Je pleure de révolte et de fou rire.

Je peux toujours dire à me déchirer les tripes, manier les mots comme des missiles ou des étoiles, frôler l‘arythmie – il tient à m’expliquer, sur un ton indulgent et calme d’initié, des évènements que, dans ma candeur, dans mon ignorance de profane, je suis incapable de comprendre.

Le génocide des mites - il me décrit leur déchirante obéissance au destin, il me cite leurs cris d’incompréhension : «  Mais enfin, pourquoi ? »   « Que s’est-il passé… ?  Nous vivions pourtant en bonne intelligence… »   « Pourquoi nous, Seigneur, ?   Pourquoi nous…? »

Je ne sais pas pour quelle raison, ces dernières paroles de mites m’ont rappelé des questions douloureuses entendues à New York l’année dernière, après un déplacement de DSK entre salle de bains et aéroport.  J’avais les yeux flous de larmes.

Mais il y a tout eu, avant – la grève des fossoyeurs, un palais aux colonnes suspectes dans un quartier has been de Saint-Petersbourg,  une vague de suicides chez les moustiques, le tensiomètre de l’archiduc, l’extinction d’une jeune femme dans une baignoire aux cris de « comme neige au soleil ! »,  les inconsolables de Copenhague qui marchaient sur le ventre de leurs fiancées pour se jeter des ponts de Paris,  la rencontre d’un renne dans le métro, le comité chargé des asperges au sein d’un joyeux club de Saint-Denis –

et même, en version Tolstoï, un détective lancé dans les alpages, le nez sur l’écho sulfureux d’un sabot.

…Des myriades de drames patiemment exposés dans mon oreille tout le long de ma vie, avec une lenteur hitchockienne, une implacable richesse de détails – et quelques judicieux silences philosophiques (le temps que je reprenne mon souffle).

L’autre jour, il m’a expliqué la puissance des loukoums et la portée géopolitique des modes de mastication.

Je suppliais : « arrête ! »

En vain.  Entre fou rire, quinte de toux et pile de Kleenex par terre, j’ai fini par m’insurger :

«  Tu es l’incarnation des pièges ! … De tous les pièges dans lesquels tombent les lapins, les loups - les armées ! »

Je n’ai réussi qu’à le lancer sur la mille et deuxième nuit.







                                                           

















 

dimanche 5 août 2012

HEY JUDE




« …and anytime you feel the pain, hey, Jude, refrain
don’t carry the world upon your shoulder »




MEMORY


La télé conduit la messe.  Et le divan est son autel.

Tout est annoncé comme primordial, sismique, hitchcockien. L’autre jour, les chaînes d’infos entonnaient en choeur la liturgie du prix du gaz - à part CNN qui se fout des factures françaises et la BBC, dont l’oeil britannique est rivé sur le monde (depuis Henry VIII - et probablement avant).

On nous a fait faire le tour du prix du gaz comme d’une scène de deuil – ou d’une scène de crime.  On nous a montré, avec des condoléances feutrées, les casseroles des victimes survolant les flammes bleues avant les coups de poignard qui les attendent en fin de mois.

Comme je suis toujours en train d’essayer de résoudre une équation centrale de mon existence,  que cet effort,  régulièrement vain, me laisse brumeuse et sans défense sur le divan - à la merci des croque-morts fiscaux et des déluges de clichés – je suis tombée en catalepsie dans les accents funèbres du prix du gaz. 

Avant de perdre conscience, il m’a semblé entendre pleurer le destin d’un « volailler » en sursis dans un « pôle frais ».

Demain, Lui Président goûtera une cacahuète à l’étal d’un marchand dans une ambiance de vacances, et le suspense reprendra autour de la cacahuète. Oblitéré, le prix du gaz. Abolis, les séjours de poulets en antarctique.

La mémoire des gens est aussi vide qu’un cendrier quand je ne suis pas là.

(Analogie dommageable.  Tant pis pour moi.)






MEMORY, SUITE

Si quelqu’un est au courant de la fragilité de la mémoire humaine, c’est Barack Obama, qui a construit son ascension messianique en s’appropriant le titre d’un livre écrit par Sammy Davis Junior : « Yes I Can ». Toute la planète a crié au génie et les américains, en larmes d’émotion, ont vu un archange descendre des nuages, dans un halo de miracle.

2008.  Obama en manches de chemise, les bras étendus vers le ciel (qu’il avait recruté pour sa campagne présidentielle)  chantant Martin Luther King : « I have a dream ! » - et les foules de tanguer d’adoration à sa voix, dans un orgasme océanique.

Obama, parvenu à son trône au sommet de la planète, en voyage et en messages divins dans le monde, svelte sous les spotlights devant les foules en transe - le geste grand, l’adjectif choisi, l’inspiration pesée.

…en rhétorique ininterrompue dans les amphithéâtres d’étudiants – seul, verbeux, radieux,  devant les milliers de bouches béantes et de visages fervents.

Un insatiable gourmand de gloire.

Nouvelle dissertation planétaire à l’intention du monde Arabe.  A Stockholm, on est hébété par cette diction impeccable et ce vocabulaire.  Mince, d’ailleurs, le vocabulaire.  Mais immense, l’art de s’en servir. 

On est confondu.  On confond tout – les discours avec les actes, l’intarissable Obama avec Galilée, Einstein, la colombe de Noé.  Ou Fred Astaire.  Il danse sur les esprits évanouis.  Il a tant de grâce. 

(Et de profonde froideur.  Et tant d’amour de lui.)

Trois adjectifs issus de cette élégante silhouette, deux points d’exclamation, et on est bouche bée.  A Stockholm, c’est l’étourdissement.  On titube dans les lauriers.

C’est le Nobel de la paix.

Un halo de plus.

Obama, inaccessible et bienveillant, répand son art oratoire partout dans le monde.

A Berlin, en je ne sais plus quelle année, John F. Kennedy, impuissant à n’être pas charmant, a lancé à la foule massée autour de lui : «  I am a Berliner », soulevant une gigantesque vague d’émotion.

Il me semble bien avoir entendu à Tunis, l’imperturbable Obama annoncer : «  I am a Tunisian… ».

Aucun pillage discret, aucun plagiat de circonstance ne dérange cet élégant opportuniste, concentré sur un but unique : rester assis au sommet du monde.

Je ne serais pas étonnée de l’entendre déclarer à son peuple, avec son cool habituel : « Vous pensez, donc je suis » (je pense, donc vous, on s’en fout - pourvu que vous caquetiez pour moi dans vos réseaux sociaux).

Ou :  « L’état, c’est vous… » (donc, c’est moi).

Ou : « Et pourtant, elle tourne… » (ma ré-élection).

Les Seals fondent sur le Pakistan.  Ben Laden est mouché comme une bougie.  La télé, toujours prodigue, nous balance quarante images d’Obama, attentif, intense, dans la situation room – dans la position exacte du penseur de Rodin. 

Veni, vidi, vici.  César, un subalterne, a trouvé le slogan.


Barack Obama est entré dans l’Histoire - comme le meilleur vendeur que la terre ait porté.  Il s’est vendu à toute la planète, et s’est assis dessus, avec une flûte qui a fait danser les continents.

Il est en train de se revendre, avec sa flûte et sa minceur de danseur.

L’Amérique est plus distraite qu’en 2008.  Plus lasse, aussi.  Mais elle suit déjà, machinalement, le rythme et les refrains.

Normal.  En face de l’artiste Obama, on a quoi ?  Un gaffeur.  Un qui - clong, clong - marche sur toutes les susceptibilités d’Europe et de Navarre.

Un Mitt Romney qui s’est fait incendier de sarcasmes en Angleterre pour avoir trouvé « disconcerting » la préparation des J.O.

No charisma.  Aucun vocabulaire.  Mais du talent pour mettre de l’huile sur le feu.

Mitt atterrit dans le chaudron Israël-Palestine, et là, il pond son explosive définition de Jérusalem : « la capitale d’Israël ».  Déflagration.

Réaction incendiaire des palestiniens et ronrons de désapprobation dans le concert des nations – un orchestre qui brille dans les siestes mentales et les coups de cymbales.

Jérusalem, capitale d’Israël ?  Ah bon ? 

Toute la terre est Alzheimer.  En 2008, année de campagne,  Barack Obama s’agenouillait, débordant d’amour, devant le lobby juif - et clamait que Jérusalem était la capitale d’Israël.

Personne n’a réagi.  Obama émettait vingt trois sons, on pleurait d‘émerveillement.

Dieu, qui a si longtemps fait du farniente dans les nuages de la Chapelle Sixtine, sans un regard pour l’humanité, venait de nommer du doigt son envoyé, le nouveau Moïse (beaucoup mieux habillé que le précédent).  Go down, Barack, let my people go !

(Aux urnes).

Et les juifs, peuple paradoxal dont la crédulité n’égale que le scepticisme, dont l’âme s’émeut soudain aux larmes, ont voté en choeur pour cet homme si disert et si prometteur, qui les aimait tant.

A peine le trône atteint, la couronne, posée, Air Force One sifflé au moindre bâillement du roi de la Maison Blanche, Jérusalem, décapitalisée, était remise à sa place – c’est à dire nowhere.  Et Israël glacialement snobbé.

Les juifs en désarroi, comme d’habitude, sont allés poser des questions peinées à leur interlocuteur bien-aimé, l’Éternel - qui, Lui, était déjà remonté se reposer sur son rocking chair de nuages, au bord de sa piscine Sixtine.

Pendant que les juifs essaient, le plus respectueusement du monde, de réveiller l’Éternel, que Mitt Romney se fait huer d’un pays à l’autre,  Obama assure son trône.

Dans le vide souverain des mémoires.