« …and
anytime you feel the pain, hey, Jude, refrain
don’t carry the
world upon your shoulder »
MEMORY
La télé conduit la messe. Et le divan est son autel.
Tout est annoncé comme
primordial, sismique, hitchcockien. L’autre jour, les chaînes d’infos
entonnaient en choeur la liturgie du prix du gaz - à part CNN qui se fout des
factures françaises et la BBC, dont l’oeil britannique est rivé sur le monde
(depuis Henry VIII - et probablement avant).
On nous a fait faire le tour du
prix du gaz comme d’une scène de deuil – ou d’une scène de crime. On nous a montré, avec des condoléances
feutrées, les casseroles des victimes survolant les flammes bleues avant les
coups de poignard qui les attendent en fin de mois.
Comme je suis toujours en train d’essayer
de résoudre une équation centrale de mon existence, que cet effort,
régulièrement vain, me laisse brumeuse et sans défense sur le divan - à
la merci des croque-morts fiscaux et des déluges de clichés – je suis tombée en
catalepsie dans les accents funèbres du prix du gaz.
Avant de perdre conscience, il
m’a semblé entendre pleurer le destin d’un « volailler » en sursis
dans un « pôle frais ».
Demain, Lui Président goûtera une
cacahuète à l’étal d’un marchand dans une ambiance de vacances, et le suspense
reprendra autour de la cacahuète. Oblitéré, le prix du gaz. Abolis, les séjours
de poulets en antarctique.
La mémoire des gens est aussi
vide qu’un cendrier quand je ne suis pas là.
(Analogie dommageable. Tant pis pour moi.)
MEMORY, SUITE
Si quelqu’un est au courant de la
fragilité de la mémoire humaine, c’est Barack Obama, qui a construit son
ascension messianique en s’appropriant le titre d’un livre écrit par Sammy
Davis Junior : « Yes I Can ». Toute la planète a crié au génie et les
américains, en larmes d’émotion, ont vu un archange descendre des nuages, dans
un halo de miracle.
2008. Obama en manches de chemise, les bras étendus vers le ciel
(qu’il avait recruté pour sa campagne présidentielle) chantant Martin Luther King : « I have a
dream ! » - et les foules de tanguer d’adoration à sa voix, dans un
orgasme océanique.
Obama, parvenu à son trône au
sommet de la planète, en voyage et en messages divins dans le monde, svelte
sous les spotlights devant les foules en transe - le geste grand, l’adjectif
choisi, l’inspiration pesée.
…en rhétorique ininterrompue dans
les amphithéâtres d’étudiants – seul, verbeux, radieux, devant les milliers de bouches béantes
et de visages fervents.
Un insatiable gourmand de gloire.
Nouvelle dissertation planétaire
à l’intention du monde Arabe. A
Stockholm, on est hébété par cette diction impeccable et ce vocabulaire. Mince, d’ailleurs, le vocabulaire. Mais immense, l’art de s’en
servir.
On est confondu. On confond tout – les discours avec les
actes, l’intarissable Obama avec Galilée, Einstein, la colombe de Noé. Ou Fred Astaire. Il danse sur les esprits évanouis. Il a tant de grâce.
(Et de profonde froideur. Et tant d’amour de lui.)
Trois adjectifs issus de cette
élégante silhouette, deux points d’exclamation, et on est bouche bée. A Stockholm, c’est
l’étourdissement. On titube dans
les lauriers.
C’est le Nobel de la paix.
Un halo de plus.
Obama, inaccessible et
bienveillant, répand son art oratoire partout dans le monde.
A Berlin, en je ne sais plus
quelle année, John F. Kennedy, impuissant à n’être pas charmant, a lancé à la
foule massée autour de lui : « I am a Berliner », soulevant une
gigantesque vague d’émotion.
Il me semble bien avoir entendu à
Tunis, l’imperturbable Obama annoncer : « I am a Tunisian… ».
Aucun pillage discret, aucun
plagiat de circonstance ne dérange cet élégant opportuniste, concentré sur un
but unique : rester assis au sommet du monde.
Je ne serais pas étonnée de
l’entendre déclarer à son peuple, avec son cool habituel : « Vous
pensez, donc je suis » (je pense, donc vous, on s’en fout - pourvu que vous
caquetiez pour moi dans vos réseaux sociaux).
Ou : « L’état, c’est vous… » (donc,
c’est moi).
Ou : « Et pourtant,
elle tourne… » (ma ré-élection).
Les Seals fondent sur le
Pakistan. Ben Laden est mouché
comme une bougie. La télé,
toujours prodigue, nous balance quarante images d’Obama, attentif, intense,
dans la situation room – dans la position exacte du penseur de Rodin.
Veni, vidi, vici. César, un subalterne, a trouvé le
slogan.
Barack Obama est entré dans
l’Histoire - comme le meilleur vendeur que la terre ait porté. Il s’est vendu à toute la planète, et
s’est assis dessus, avec une flûte qui a fait danser les continents.
Il est en train de se revendre,
avec sa flûte et sa minceur de danseur.
L’Amérique est plus distraite
qu’en 2008. Plus lasse,
aussi. Mais elle suit déjà,
machinalement, le rythme et les refrains.
Normal. En face de l’artiste Obama, on a quoi ? Un gaffeur. Un qui - clong, clong
- marche sur toutes les susceptibilités d’Europe et de Navarre.
Un Mitt Romney qui s’est fait
incendier de sarcasmes en Angleterre pour avoir trouvé
« disconcerting » la préparation des J.O.
No charisma. Aucun vocabulaire. Mais du talent pour mettre de l’huile
sur le feu.
Mitt atterrit dans le chaudron
Israël-Palestine, et là, il pond son explosive définition de Jérusalem :
« la capitale d’Israël ».
Déflagration.
Réaction incendiaire des
palestiniens et ronrons de désapprobation dans le concert des nations – un
orchestre qui brille dans les siestes mentales et les coups de cymbales.
Jérusalem, capitale
d’Israël ? Ah bon ?
Toute la terre est
Alzheimer. En 2008, année de
campagne, Barack Obama
s’agenouillait, débordant d’amour, devant le lobby juif - et clamait que
Jérusalem était la capitale d’Israël.
Personne n’a réagi. Obama émettait vingt trois sons, on
pleurait d‘émerveillement.
Dieu, qui a si longtemps fait du
farniente dans les nuages de la Chapelle Sixtine, sans un regard pour
l’humanité, venait de nommer du doigt son envoyé, le nouveau Moïse (beaucoup
mieux habillé que le précédent).
Go down, Barack, let my people go !
(Aux urnes).
Et les juifs, peuple paradoxal
dont la crédulité n’égale que le scepticisme, dont l’âme s’émeut soudain aux
larmes, ont voté en choeur pour cet homme si disert et si prometteur, qui les
aimait tant.
A peine le trône atteint, la
couronne, posée, Air Force One sifflé au moindre bâillement du roi de la Maison
Blanche, Jérusalem, décapitalisée, était remise à sa place – c’est à dire
nowhere. Et Israël glacialement
snobbé.
Les juifs en désarroi, comme
d’habitude, sont allés poser des questions peinées à leur interlocuteur
bien-aimé, l’Éternel - qui, Lui, était déjà remonté se reposer sur son rocking
chair de nuages, au bord de sa piscine Sixtine.
Pendant que les juifs essaient,
le plus respectueusement du monde, de réveiller l’Éternel, que Mitt Romney se
fait huer d’un pays à l’autre,
Obama assure son trône.
Dans le vide souverain des
mémoires.